Marrakech (Maroc), dont la médina a été inscrite sur la liste du Patrimoine mondial en 1985, permet d’illustrer également les tensions entre un paysage urbain alimenté par des récits nationaux et par l’investissement de populations internationales, avec notamment le phénomène de la gentrification touristique des riads. La place Jemaa-el-Fna, inscrite en 2008 sur la Liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité (originellement proclamé en 2001), est par ailleurs le bien-témoin du concept du patrimoine immatériel de l’UNESCO dès 1997 (réunion d’experts de Marrakech) (Bortolotto, 2011). Le site permet aussi de questionner les résistances à la patrimondialisation. Le choix de Marrakech, doublement distinguée par l’ UNESCO – sa médina est patrimoine mondial depuis 1985 et l’espace culturel de la place Jemaa el-Fna (Oiry-Varacca, Gauthier, 2011), espace le plus « paysagé » et photographié du Maroc (Minca, 2007), est inscrit depuis 2008 sur la Liste du patrimoine culturel immatériel de l’humanité -, se fonde d’une part sur son rôle fondateur dans le processus de reconnaissance du patrimoine immatériel, et d’autre part sur la présence d’une fabrique touristique mondialisée du patrimoine. En effet, c’est à la réunion de Marrakech de l’Unesco en 1997 qu’a été élaboré le nouveau concept de patrimoine oral et immatériel qui a abouti à la mise en œuvre du programme de la Proclamation des Chefs-d’œuvre du patrimoine oral et immatériel de l’humanité en 1998. La place Jemaa el-Fna a ainsi joué un rôle paradigmatique dans l’identification d’un nouveau patrimoine voire, pour certains, d’un nouveau régime de patrimonialité (Turgeon, 2011 ; Davallon, 2012).

Par ailleurs, la fabrique touristique mondialisée du patrimoine se manifeste dans l’achat comme résidences secondaires et la rénovation de riads (maisons à patio) dans la médina de Marrakech par des étrangers, européens en particulier (Madoeuf, 2012 ; Brown, 1999). Ce phénomène qui accompagne le développement contemporain du tourisme marocain commence dans les années 1960 et s’accentue à partir de la fin des années 1990, où ces maisons, restaurées et transformées dans une perspective hôtelière, deviennent des maisons d’hôtes (A.-C. Kurzac-Souali, 2007 ; J. Mc Guinness, 2006). Nombre de célébrités mondiales y ont en outre élu domicile. Ces riads sont médiatisés via internet, et distribués par des voyagistes et tour-opérateurs (Escher, Peterman, Clos, 2001). Énoncés depuis ces supports comme « demeures traditionnelles », ils deviennent des fragments conformes de l’authenticité d’une expérience (Girard, 2006).

Sur la longue durée, le cas de Marrakech, cité impériale fondée au XIe siècle, aménagée et lancée comme station climatique durant le Protectorat français, période où elle accueille l’élite de la société coloniale en villégiature (Borghi, 2008) alimente également la réflexion sur la patrimondialisation coloniale puis post-coloniale : à l’instar du site d’Angkor, la généalogie de la construction patrimoniale de la place Jemaa-el-Fna, forgée par le regard colonial du Maréchal Lyautey (Minca, 2006), se trouve intégrée dans l’imaginaire touristique contemporain.

Enfin, le cas de Marrakech se révèle particulièrement intéressant pour aborder les tensions suscitées par la patrimondialisation et les résistances à ce processus. Le phénomène des riads alimente un débat polémique national relayé par les médias locaux qui porte sur les pratiques touristiques à Marrakech et sur la représentation sulfureuse de la cité. L’acuité de ces débats, de même que l’exercice du contrôle du pouvoir royal sur la cité, se sont intensifiés après l’attentat meurtrier du 28 avril 2011 perpétré contre le café Argana place Jemaa el-Fna (imputé par les autorités marocaines à des terroristes d’al-Qaïda) (Debarbieux, 2011).