Le choix d’Angkor se justifie par la gestion internationale poussée du site, inscrit en 1992 sur la Liste du Patrimoine Mondial et en même temps sur la Liste en péril (ce n’est qu’en 2004 qu’Angkor est sorti de la Liste en péril pour être inscrit sur la Liste du Patrimoine Mondial), véritable laboratoire de la patrimondialisation et lieu de rencontre des différentes doctrines mondiales de restauration. En effet, depuis la sortie de la période khmer rouge, durant laquelle le site fut déserté et miné, le CIC-Angkor (Comité international de coordination pour la sauvegarde et le développement du site historique d’Angkor), créé en 1993 à la suite de la Première Conférence Intergouvernementale sur Angkor à Tokyo réunissant une trentaine de pays (dont la France et le Japon) et les plus gros bailleurs de fonds (la Banque Mondiale, l’Union Européenne, la Banque Asiatique de Développement, etc.), coordonne les projets scientifiques, de restauration et de conservation. Les relations entre le national et le mondial sont ici dominées par la seconde échelle : l’Autorité Nationale APSARA (Autorité pour la Protection du Site et l’Aménagement de la Région d’Angkor), qui exécute les projets avec ses partenaires internationaux, a été fondée en 1995 pour répondre à l’une des conditions du Comité du Patrimoine Mondial au moment de l’inscription du site (APSARA-UNESCO 1997, 2013) ; l’aménagement et la mise en valeur du site sont pleinement internationalisés. Le plan de développement est élaboré par la France. Se côtoient des chantiers français, japonais, indiens, chinois, suisses, hongrois, russes, allemands, italiens, américains, via le World Monuments Fund, l’Ecole du Patrimoine mise en place par l’Ecole de Chaillot, l’Unité de formation à la restauration des objets d’art en pierre, en bois et en métal dispensée par les professeurs de l’Université de Palerme. L’amélioration de la circulation dans le parc par la construction des routes de contournement a été réalisée par la Corée du Sud.

La patrimondialisation à l’oeuvre ici est aussi celle d’un produit touristique mondial. Angkor, qui accueille plus de 2 millions de visiteurs par an (alors que dans les années 1970, la fréquentation était de l’ordre de 35 000 personnes), dont environ 1,4 millions de touristes internationaux en 2012, se trouve en effet aujourd’hui confronté à un déferlement touristique. Le cas d’Angkor permet également d’interroger la longue durée de la patrimondialisation. En effet, Angkor a connu une première patrimondialisation coloniale : l’École française d’Extrême-Orient (EFEO), fondée en 1900, et installée à Hanoï en 1902, a joué un rôle pionnier dans le dégagement, l’étude et la restauration des sites archéologiques et des temples khmers, la Conservation d’Angkor étant créée en 1907. Aujourd’hui, le rôle joué par la France dans la gestion du site interroge la dimension post-coloniale de la patrimondialisation. Le cas d’Angkor permet également d’étudier les tensions entre le local et le mondial, ici liées au décalage entre le niveau de vie des touristes et le niveau de vie local, mais aussi entre la sacralité nationale du site et des usages globalisés (organisation de spectacles, tournage de films…), dans un contexte de forte pression pour l’urbanisation autour du site (MIura, 2004, 2010).

En s’appuyant sur les recherches déjà menées sur l’histoire (Abel Remusat, 1819 ; Boulbet, Dagens, 1973) et l’archéologie du site d’une part et sur les développements de la ville de Siem Reap (Gaulis, 2007 ; Esposito, Nam, 2008 ; Ipraus, 2008 ; Esposito, 2011) d’autre part, ce projet interrogera la co-construction du site par les acteurs patrimoniaux mondiaux, mais aussi les touristes, les voyagistes, les tour-opérateurs.